Nippon Nostalgie

En 2014 et 2015, je suis partie au Japon pour ma recherche de doctorat. Je souhaitais tenter de saisir (au moins un peu) comment fonctionne un système esthétique. Qu’est-ce qui crée le sentiment de satisfaction associé à l’émerveillement des yeux ? Comment cela se structure ? Me déplacer dans une autre culture visait à créer un décalage dans ma perception et essayer de faire un peu de place pour découvrir celle d’autres sensibilités. Dans la traversée d’un pays et d’une culture que je venais découvrir en ne connaissant que quelques petits mots de la langue, j’ai essayé, par la photographie, de comprendre par l’image. À travers la culture japonaise, j’ai eu l’impression d’ouvrir mon regard sur une autre sorte de grâce. Tant d’attention portée par beaucoup de gens sur de toutes petites choses arrangées pour faire plaisir aux sens ; des émotions esthétiques adressées, partagées, reconnues dans une joliesse apparaissant comme si simple et pourtant si profonde qu’elle a changé mon appréciation du monde. J’ai cherché à saisir cette beauté de petites choses du quotidien accrochée par mon regard étranger pour peut-être mieux les voir, les comprendre et aussi les ramener avec moi, à défaut de pouvoir rester là-bas.
Presque dix ans ont passés. Je suis profondément nostalgique de cette expérience révélatrice, de l’ouverture à une autre culture par un sens particulier de la beauté qui met tant de force dans la simplicité et les détails. Mais que faire de ce sentiment aujourd’hui ? Pour ne pas rester dans ma tristesse, j’ai choisi d’agir par le dessin, le découpage, l’assemblage… sur la matière des souvenirs photographiques. Je transforme mon regard par mes mains afin de rendre hommage, de peut-être arriver à transmettre et d’accepter que je n’y retournerai possiblement jamais mais que cet espace existera toujours entre ma mémoire et mon imaginaire. Un endroit à moi, familier et empli de l’amour simple d’un temps heureux, comme l’évoque si bien la Velléda au parfum de réséda de Paul Verlaine.